Comment est né le film Curiosa ?
En tant que réalisatrice – une femme – je suis tombée amoureuse au premier regard du personnage de Marie de Régnier. Je me souviens de ce que j’ai ressenti lorsque j’ai trouvé cette photo de la jeune femme parmi des centaines d’autres poèmes, lettres et pièces d’archives. Elle est très moderne avec sa nudité !
Il m’a regardé avec des yeux sombres, comme s’il exigeait d’être le personnage principal d’un film. Il est talentueux non seulement d’esprit, mais aussi de corps ! J’ai eu accès à toutes les lettres et regards que lui envoyait Pierre Louÿs, et j’ai vu noir sur blanc la passion intense qu’il suscitait en elle.
À première vue, il semble que le film Curiosa racontera l’histoire de Louÿs. Mais ensuite il se transforme en celui de Mary…
Les lettres de Marie sont perdues (peut-être que Louÿs les a brûlées à la fin de la relation ?). J’ai commencé à imaginer leur relation. Je me suis déconnecté des faits biographiques et j’ai réussi à me mettre à sa place. J’ai conservé certains éléments de sa vie pour nuancer son personnage : les poèmes qu’elle a écrits pour Pierre lors de sa fuite en Algérie, et pour sa rivale Zohra. Son humour dévastateur le touchait si profondément que sa poésie le ramenait toujours à Paris et dans ses environs.
Curiosa, c’est l’histoire de Marie prenant le contrôle de Pierre
Alors oui, j’avais envie de faire Curiosa pour raconter l’histoire de Marie de Régnier. Sur le fait que la victime était une femme qui décidait de son propre destin. Et comment elle a découvert le pouvoir de l’imagination et exploré sa sexualité à travers sa relation avec Pierre Louÿs.
Curiosa n’est pas un biopic sur Pierre Louÿs. Je ne me suis pas attardé sur les biographies des personnages pour pouvoir me concentrer sur la photographie et la séance que nos deux amants ont eue pendant que je racontais l’histoire. Curiosa raconte comment Marie le contrôle.
D’une certaine manière, le film de Curiosa suit un changement de statut, ou du moins de créativité. Est-ce vrai?
Contrairement aux photos de prostituées d’aujourd’hui, Marie ne cache pas son visage. Il prend diverses poses et regarde directement dans le viseur de l’appareil photo. Qui a organisé la mise en scène du film ? est-ce lui ou elle ? C’est au cours de la séance photo que Marie, qui n’était jusqu’ici qu’un objet de désir, devient peu à peu une femme qui apporte un regard féminin sur les questions érotiques et partage également la « direction » de leur idylle avec Pierre. Un moment clé de sa rébellion a été lorsque Pierre a voulu la photographier nue pendant son sommeil.
Marie de Régnier était en avance sur son temps…
Maria est avant tout une affaire de provocation et de fantaisie. Ce n’est pas une jeune fille conventionnelle du XIXe siècle. Grâce à son courage, sa contradiction et son don pour la liberté, c’est un personnage très moderne. Son expérience de l’amour résonne parfaitement avec les doutes que nous avons aujourd’hui sur l’amour.
Il est temps que les femmes réfléchissent à leurs propres désirs sexuels et ne soient pas considérées comme de simples objets sexuels par les hommes. Nous avons maintenant le mouvement #MeeToo et ainsi de suite. La prochaine étape est le droit à son propre érotisme, à une totale liberté d’imagination sur le sexe et l’amour.
Le film se déroule à l’époque de l’avènement de la photographie amateur…
Pierre Louÿs fut le premier parisien à acheter un appareil photo Kodak qui lui permit de développer ses propres photographies. Dans son cas, c’est essentiel car les images sont très érotiques.
Le but n’est pas de filmer comment les gens s’aiment, mais un film sur la passion qui se transforme en chaleur, grâce à la photographie à travers laquelle ils s’aiment.
Curiosa est également présente dans le monde de la littérature. Le père de Maria, José María de Heredia, était poète et son mari, Henri de Régnier, était un poète symboliste français. Je voulais créer des images qui dépeignaient le monde littéraire de cette époque, de la manière la plus visuelle possible, afin qu’elles soient accessibles au plus grand nombre.
Les photos contribuent également à faire avancer l’intrigue….
De nombreux moments dramatiques ont été déclenchés par les événements survenus lors du tournage : le départ brutal de Pierre, leurs cartes postales et leurs lettres (ils s’écrivaient jusqu’à sept fois par jour). Par exemple, Marie laisse – par hasard – une photo de Jean, l’ami de Pierre, allongé dans l’appartement. C’est le début d’une période dans laquelle nous sommes encore plongés.
La particularité de cette histoire est son histoire romantique unique. Le but n’est pas de filmer comment les gens s’aiment, mais un film sur la passion qui se transforme en chaleur, grâce à la photographie à travers laquelle ils s’aiment. Un siècle plus tard, quand on regarde les photos qu’ils ont prises ensemble, on peut s’interroger sur le secret qui se cache derrière tout cela, mais il ne peut être révélé. Et c’est ce mystère que j’ai essayé de transférer à l’écran.
Le film apparaît en partie d’époque, tentant de capturer la couleur, le dynamisme artistique et l’énergie observés dans les premiers films de Lumière de la Belle Époque…
Approprié. La Belle Epoque fut une époque relativement joyeuse et positive. Mais Curiosa ne cherche pas à constituer un document historique. Pas de chevaux ni de calèches ! J’ai essayé un design élégant. Il s’agit d’une interprétation de l’époque. Par exemple, notre designer Yann Mégard a créé des décors séparés pour le film – une sorte de film de papier peint qui représente les paysages mentaux des personnages. Yann a agrandi la photo de Louÿs sur fond du célèbre papier peint du Musée du papier peint de Rixheim, devant lequel les modèles posaient, et l’a recréée pour le film. Ils ont également utilisé des rouleaux de papier peint à motifs du XIXe siècle pour sa garçonnière.
Tous les lieux de tournage se trouvaient dans le 9e arrondissement de Paris et sur l’avenue Kléber, presque exactement là où se déroule l’histoire originale.
Curiosa est un film sur les perspectives masculines et féminines. L’attirance physique est au centre du film dès la première scène, lorsque Pierre ne parle pas à Marie, mais la regarde passer du temps avec sa sœur…
Le directeur de la photographie Simon Roca a tourné le film à l’aide de deux caméras numériques dans le but de renforcer la spontanéité des acteurs. Il a tourné l’intégralité du film avec d’anciens objectifs Leica 50 mm et 85 mm. Il a également utilisé un vieil appareil photo pour prendre des photos en noir et blanc de la scène. Nous avons une photothèque que nous souhaitons honorer indéfiniment.
L’ouverture sexuelle est ce que je veux transmettre à travers ce film
Les cadres s’inspirent du culte français du japonisme et du groupe artistique français Nabis. Dans la scène où Henri écoute Pierre et Marie faire l’amour, nous avons réalisé des gros plans des pieds et des mains de Marie à la japonaise.
Comment a été créé le scénario sur lequel vous avez travaillé avec Raphaëlle ?
Au début, j’écrivais beaucoup jusqu’à ce que je trouve des photos et de la correspondance. J’ai fait des recherches pendant longtemps. Raphaëlle et moi nous sommes efforcés de traduire tous les « échanges » poétiques en dialogues dans le langage le plus moderne et le plus compréhensible. Nous avons beaucoup ri des expressions que Louÿs utilisait dans ses lettres – « fais chica », « roses », etc.
En utilisant le dialogue moderne, vous voulez également montrer qu’ils sont des gens modernes.
Oui, en matière d’écriture visuelle, je l’ai apprise de Gérard Brach, scénariste d’Abomination et Vampire Ball de Roman Polanski. Le film a pour vocation de refléter les impulsions de Louÿs sous forme écrite. En tant que réalisateur, les photographies me fascinent autant que lui.
Vous avez travaillé avec quatre des jeunes comédiens français les plus en vue, dont deux ont remporté le César du meilleur espoir masculin ou féminin – Niels Schneider (« Dark Diamond »), Camelia Jordan (« Le Brio ») – et deux ont été nominés au la même catégorie – Noémie Merlant (« Le paradis attendra ») et Benjamin Laverhne (« C’est La Vie ! »). Comment avez-vous réussi à évoquer l’ouverture sexuelle exigée dans le film ?
L’ouverture sexuelle est ce que je souhaite transmettre à travers ce film. Le premier amour fut assez mystérieux pour Pierre et Marie, et ils n’oublièrent jamais l’intensité de leur passion. Le processus de casting pour le rôle a été très long. J’ai choisi Noémia Merlant après l’avoir filmée en studio lors d’une séance où elle prenait diverses poses. Elle est capable de passer d’une fille innocente à une femme perverse et sait jouer avec son corps. Mais sa nudité a provoqué une réaction qui n’était ni sexuelle ni curieuse, et sa pose n’était pas exhibitionniste.
J’ai eu la même séance que Niels Schneider. C’est un acteur très généreux qui endosse des rôles et des personnages complexes par nature haineux et leur donne de l’humanité et de la profondeur. Louÿs, qui est gourmand mais qui nous touche quand même et permet de ne pas juger son caractère selon des critères modernes, n’est autre que le très beau Niels.
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